Quelques réflexions à propos des rencontres sur Tinder

Dans cet article, j'expose pourquoi je trouve que « aller prendre un verre » est un mauvais plan pour rencontrer une personne avec qui j'ai commencé à faire connaissance via Tinder.

C'est aussi possiblement l'article inaugural d'une section « blog » que je suis tenté d'ouvrir sur mon site (depuis assez longtemps, à vrai dire).

 

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Version courte

Il me semble qu'une chronologie fréquente dans les rencontres sur Tinder consiste à programmer un premier rendez-vous en face à face dans un lieu public avant de tenter de passer un moment ensemble sous la couette. Or je pense qu'il vaut mieux procéder dans l'autre sens, car le principe du premier rendez-vous public en face à face souffre de plusieurs défauts lorsqu'il a été convenu via une application de rencontres.

Dans ces premiers rendez-vous qui s'apparentent quasiment à des entretiens d'embauche, on se comporte un peu comme on le ferait vis-à-vis d'un ami, sans contact physique, avec une crainte d'être évalué négativement ou de laisser des blancs assez gênants (qui risquent pourtant facilement d'arriver dans un tel contexte). S'il y a des déceptions, il n'est pas évident de s'extirper du rendez-vous en tête-à-tête. Et en reléguant à plus tard le moment passé au lit, on prend le risque de découvrir tardivement qu'on a des incompatibilités majeures en la matière.

Inversement, lorsque l'on commence par passer un moment au lit, je trouve que le cadre de la conversation qui suit est plus confortable, que l'on a déjà une première expérience commune dont on peut discuter, et que l'on se sent plus en confiance pour évoquer des choses intimes. On règle rapidement la question du caractère réciproque de l'attirance physique et l'on peut paisiblement tenter de développer d'autres aspects de la relation.

Pas convaincu ? La version longue (ci-dessous) détaille davantage ces arguments.

Version longue

Préambule : pourquoi est-ce que j'aime le principe de Tinder ?

En tant que jeune gay installé à Paris en quête d'une relation stable, je trouve l'application Tinder bien pratique : elle me permet d'accéder à une longue liste de mecs de mon âge, eux aussi attirés par les mecs et qui sont (théoriquement) désireux de faire des rencontres. Sur le lot, j'en vois régulièrement dont le profil me plaît ; parmi ceux-là, quelques-uns aiment également le mien : les voilà dans mes matchs ! Que de temps de gagné, à première vue, par rapport aux rencontres hors-ligne : dans la vie de tous les jours, je rencontre peu de nouvelles personnes et lorsque cela arrive, la probabilité est très faible pour que la personne que je rencontre soit un mec intéressé par les mecs, qui me plaît et à qui je plais.

Pourquoi ne pas privilégier des rencontres par des canaux hors-ligne ?

On m'objecte parfois qu'une autre option serait d'aller fréquenter des lieux propices aux rencontres : clubs culturels, boîtes de nuit... Mais dans mon expérience, ce n'est pas simple d'y trouver son compte :

  • Dans les espaces qui regroupent du monde par centres d'intérêt (association culturelle, club thématique, lieu d'études ou de travail...), la probabilité de rencontrer des gens intéressants augmente, mais il y a toujours statistiquement peu de gays/bis. J'ai déjà « converti un hétéro », mais la conversion n'a pas tenu bien longtemps, haha !
  • Dans ceux qui se donnent pour seule mission de regrouper des mecs gays/bis, on trouve des profils très variables. Pour peu que l'on soit relativement exigeant dans ses critères culturels, je trouve qu'il est difficile de tomber sur quelqu'un d'intéressant dans ce type d'espace. Et s'il faut encore ajouter une attirance physique réciproque, on tombe sur des probabilités décourageantes.
  • Il y a bien quelques associations ou clubs qui rassemblent à la fois par centres d'intérêt et orientation sexuelle. Mais en ce qui me concerne, je n'en ai pas trouvé qui m'aide dans ma recherche (je m'y suis peut-être mal pris, je ne sais pas).

Cela dit, les faibles probabilités de trouver quelqu'un avec qui ça matche par un espace de rencontres hors-ligne ne disqualifient pas en soi cette modalité de prise de contact par rapport à Tinder. Après tout, le but n'est pas (pour moi) de maximiser le nombre de personnes avec qui ça matche : en rencontrer une seule me suffit. Néanmoins, je trouve que même pour faire une seule rencontre motivante dans ces espaces, il faut y consacrer énormément de temps :

  • pour y aller souvent (il y a peu de chances de faire une super rencontre si l'on n'y va qu'une fois par mois),
  • pour rester sur place suffisamment longtemps afin d'aborder les mecs qui semblent intéressants (quand il y en a) et de voir ce qu'il en est (malheureusement, ils ne se promènent pas avec une fiche de présentation collée sur leur front, ni avec un bracelet « je suis en couple exclusif et je viens ici juste pour passer le temps »).

Bref, je continue de penser que les applications de rencontres comme Tinder ou OkCupid permettent de gagner beaucoup de temps pour parvenir à tomber sur quelqu'un avec qui ça matche. Je n'en suis pas non plus un amateur béat : évidemment, ces applications ont aussi leurs défauts spécifiques.

Les problèmes propres à Tinder

Il y aurait beaucoup à dire sur les limites de l'application. Principe du swipe à la chaîne sur une liste infinie de photos, qui pousse à éliminer en moins d'une seconde tous les mecs au physique moyen ; profils parfois mensongers ; perte de romantisme par rapport à la drague hors-ligne ; facilitation de comportements peu éthiques qu'on n'adopterait probablement pas dans une interaction en face à face... Mais surtout, un problème auquel je me heurte régulièrement est que je matche avec des mecs qui ne semblent pas avoir réellement l'intention de faire des rencontres. Certains n'entament pas de conversation après avoir obtenu le match et ne répondent pas si je les aborde (je m'y prends peut-être mal, mais comment savoir ?). D'autres discutent sans jamais manifester d'intention de passer du virtuel au réel. D'autres encore disent vouloir faire des rencontres, mais n'organisent pas leur vie de telle sorte que ce soit matériellement possible...

Ces problèmes ne sont pas insurmontables. Comme il reste relativement facile d'obtenir des matchs (je parle certes pour mon cas, à mon âge, à Paris), il est possible de matcher avec des mecs réellement motivés pour faire des rencontres. Cependant, il demeure bien souvent un dernier souci propre à Tinder, relatif à la chronologie de la rencontre. C'est le principal point que je souhaite développer maintenant.

L'enjeu de la chronologie des rencontres

Le schéma « rendez-vous en face à face dans un lieu public puis moment intime chez l'un des deux »

Je ne sais pas à quel point il est possible de généraliser à partir de mon expérience, mais dans mon cas, j'ai constaté que les mecs qui cherchaient à fonder une relation dite sérieuse via Tinder avaient la plupart du temps en tête la chronologie suivante :

  • discuter par l'application, et éventuellement par un autre canal de discussion écrit qui rompt l'anonymat (Messenger) ou qui révèle le numéro de portable (WhatsApp) ;
  • fixer une rencontre dans un bar (ou plus généralement, autour d'un verre dans un lieu public), pour échanger de vive voix ;
  • à l'issue de cette rencontre, pour peu qu'elle se soit bien passée, continuer à échanger et se voir ;
  • à la fin de l'une des entrevues (éventuellement, dès la première), l'un propose à l'autre d'aller chez lui ;
  • une fois seuls dans une chambre, si l'envie est là, on se rapproche physiquement ;
  • si la relation se maintient un certain temps, on convient que l'on est « en couple ».

Cette chronologie ressemble à celle des rencontres réalisées hors-ligne : après le rapprochement initial (en soirée, dans un contexte de loisir...), on se donne rendez-vous dans un lieu public, en tête-à-tête, souvent autour d'une table, dans l'idée de discuter et de faire plus ample connaissance comme cela. L'application ne serait ainsi qu'un moyen supplémentaire d'assurer la mise en contact initiale, tandis que la suite se passerait suivant cette chronologie classique. Pourtant, le fait que la rencontre ait débuté par une application prévue pour ça change plusieurs paramètres, qui justifient à mon avis de revoir l'ordre des événements.

Est-ce vraiment une bonne idée de fixer la première entrevue dans un lieu public autour d'un verre ?

Je voudrais dans un premier temps passer en revue les inconvénients que je vois à commencer par ce type de rendez-vous après avoir discuté en ligne. Dans un second temps, je discuterai des possibilités de résolution de ces inconvénients qu'offrirait une chronologie alternative.

Un cadre inconfortable en cas de déception

La spécificité du rencard fixé par une application de rencontres est que lors de celui-ci, on découvre pour la première fois la personne en vrai. Ce n'est pas un point anodin. On se confronte à de multiples sources de potentielles déceptions qu'on ne pouvait pas forcément anticiper en ligne : le mec ne ressemble pas (ou plus...) à ses photos ; il a une voix, une odeur ou un comportement physique désagréables ; il est beaucoup moins drôle, moins intéressant, plus timide dans ce contexte qu'il ne l'était par écrit... Autant de choses qui, si elles sont rédhibitoires, conduisent à une situation pénible où l'on doit trancher entre lancer à la figure de son prétendant qu'on le trouve décevant, ou bien tenter de masquer cette déception pour ne pas le vexer, quitte à avoir le sentiment d'être en train de perdre son temps dans une interaction sans lendemain. Dans un rendez-vous de ce type, il me semble qu'il y a une convention implicite suivant laquelle « ça ne se fait pas » de partir avant une demi-heure voire une heure de temps passé ensemble...

Une remarque, en passant : ce genre de situation me paraît assez spécifique aux rencards fixés par Internet, car hors-ligne, on peut les voir venir et éviter qu'elles n'aient lieu : dans le contexte d'une soirée, par exemple, on peut directement évaluer si l'on apprécie ou non l'attitude et la conversation de la personne qu'on a devant nous, et décider éventuellement de ne pas fixer de rencard avec elle, sans trop la froisser (c'est l'avantage du contexte collectif : en cas de râteau, on peut aller voir quelqu'un d'autre, plutôt que de se retrouver seul à encaisser le rejet).

Une option possible pour résoudre ce problème serait d'inviter son match Tinder à un événement collectif (une soirée en appartement, typiquement), afin d'éviter de se sentir coincé dans un tête-à-tête embarrassant. Mais cela demande quand même à l'invité une certaine dose de courage pour débarquer à un endroit où il n'y a personne qu'il connaît vraiment bien (et pas même le mec qui l'invite). Et ce n'est pas du tout optimal pour avoir des conversations intimes.

Une autre idée envisageable est de s'appeler par téléphone. Cela permet de tester rapidement s'il peut y avoir des conversations fluides et agréables avec la personne, et de découvrir sa voix. Il faut néanmoins être à l'aise avec les appels téléphoniques en général ; pour ma part, je ne me sens pas très à l'aise pour téléphoner à quelqu'un que je ne connais pas ou peu.

Un quasi-entretien d'embauche inutilement stressant

Dans ce type de rendez-vous, je remarque souvent que j'éprouve un peu de stress. Il est clair qu'on est dans un rencard, dont on s'attend à juger qu'il aura une issue soit positive soit négative (là où une rencontre dans une soirée non définie comme un rencard ne susciterait pas forcément d'attente aussi binaire sur son issue). On se voit en outre pour la première fois, donc on sait que l'autre a encore beaucoup à découvrir sur nous. Résultat : en ce qui me concerne, dans ce cadre-là, je me sens évalué en permanence par mon interlocuteur (à moins qu'il ne me plaise pas, auquel cas il n'y a plus vraiment d'enjeu) et je crains de ne pas être à la hauteur de ses attentes, surtout de celles dont il n'ose pas parler dans ce contexte : ses attentes sur le physique, le comportement, la voix... J'ai un peu l'impression de passer un entretien d'embauche, et j'ai du mal à me comporter de façon aussi spontanée qu'au quotidien. Je suis sûr de ne pas être seul à éprouver cela, je me souviens notamment d'un mec qui m'avait demandé en plein rendez-vous, comme pour se débarrasser d'un questionnement qui le hantait depuis le début : « Alors, je te plais ou pas ? »... Question embarrassante : il attendait une appréciation globale que j'étais bien en peine de formuler en aussi peu de temps, et je me voyais mal lui dire dans un lieu public ce que je pensais, au moins, de son physique. Je sais qu'il m'est également arrivé de me sentir excessivement soucieux de repérer des signes d'intérêt. J'avais besoin d'une validation des composantes de ma personne qui ne transparaissent pas sur un profil virtuel. C'était pesant, et certainement pas joyeux comme devrait l'être un rendez-vous avec une personne sympathique...

En général, dans mon expérience, cette incertitude légèrement stressante dure aussi longtemps que le rendez-vous, et ne s'atténue qu'au moment où, éventuellement, on convient de prolonger la soirée chez l'un ou l'autre. Quel dommage de s'imposer pareille épreuve ! Et le stress peut durer encore si l'on renonce à prolonger la soirée pour des raisons prétendument matérielles (sur le mode « Non mais si ça se trouve, il sort un prétexte pour éviter d'aller plus loin, parce que je ne lui plais pas et qu'il n'ose pas me le dire »).

Une conversation pas forcément évidente à alimenter

Avec de bons amis, je peux discuter pendant des heures autour d'un verre. Je n'ai pas de problème en soi avec les conversations dans ce cadre. Toutefois, avec un match Tinder que je vois pour la première fois, c'est un peu plus laborieux. Même si la conversation écrite préalable a généralement permis d'identifier des sujets sur lesquels on aurait envie d'échanger, il peut arriver qu'on en vienne en fait assez rapidement à bout. Le risque est réel de se retrouver avec de bons gros blancs dans la conversation, ce que je trouve toujours un peu gênant dans ce contexte... ça donne l'impression qu'on n'a rien à se dire, donc d'une certaine façon, qu'on a tort de rester là, l'un en face de l'autre. Puisqu'on est ici pour discuter et qu'on ne discute pas, autant rentrer chez soi ? C'est un peu gênant d'avoir l'impression que la discussion tourne court dans une interaction dont on espère qu'elle se passe bien et soit suivie d'autres rendez-vous. Les blancs interviennent pourtant d'autant plus facilement qu'on est dans un échange avec une personne que l'on a rencontrée il y a peu (problème qui ne se pose pas dans les soirées où, dès qu'on a l'impression que la conversation s'épuise et que ça devient gênant, il suffit d'aller parler à quelqu'un d'autre, d'aller se servir à boire...). Il n'est pas forcément évident de trouver les sujets que l'on s'accorde à juger intéressants, même s'il y en a potentiellement plein. En outre, comme on n'a quasiment aucun vécu commun (juste un échange de messages écrits) et qu'on n'éprouve pas (encore) la familiarité qu'on connaît avec un ami de longue date, il n'est pas forcément évident de faire des relances qui portent sur le passé de l'autre.

Des échanges qui risquent de passer à côté d'enjeux importants

Dans le contexte du rendez-vous autour d'un verre en public, j'ai souvent observé qu'on n'ose pas se toucher, ni trop parler d'amour, de nos attentes, de notre intérêt l'un pour l'autre... Il y a comme un tabou sur ces questions, qui me semble découler en partie du fait du contexte, qui rappelle celui du rendez-vous avec un ami. Pourtant, on a matché et donc supposément validé l'existence d'un intérêt physique l'un pour l'autre (ou ses photos, en tout cas). Il s'ensuit pour moi un certain malaise : puis-je oser un rapprochement physique, ou du moins me permettre de le proposer ? Peut-être l'autre trouvera-t-il ça intimidant de faire des démonstrations d'affection dans un lieu public ? Dois-je interpréter l'absence de tentative de sa part comme un signe de déception vis-à-vis de mon apparence physique ?

Dans la chronologie classique, le rapprochement physique intervient (éventuellement) après avoir passé quelques heures à discuter dans un lieu public. Il nécessite de passer outre l'impression légèrement perturbante que l'on peut avoir d'être en train de draguer un ami. Une fois cet obstacle franchi, les moments tendres ou érotiques peuvent d'emblée se passer à merveille, mais il y a aussi des chances pour que divers désaccords plus ou moins importants interviennent, et il serait dommage de ne pas les avoir anticipés :

  • Sur la communication : certains mecs disent ce qu'ils aiment ou n'aiment pas, guident l'autre, d'autres trouvent que ça tue la fougue érotique et préfèrent se limiter à un minimum de mots. S'il y a un désaccord là-dessus, je trouve que ça met en cause la viabilité de la relation.
  • Sur le temps : certains sont rapidement excités et veulent aller « droit au but », d'autres préfèrent prendre le temps de faire monter le désir. Ne pas s'entendre là-dessus peut être très frustrant.
  • Sur les pratiques en elles-mêmes : dans mon expérience, beaucoup de mecs évitent de rentrer dans le détail de leurs pratiques sexuelles préférées avant d'aller au lit (et même pendant, parfois !), laissant ce genre de conversation méprisable aux utilisateurs de Grindr en recherche de coups d'un soir. Il faudra donc les deviner, ou passer à côté, ou réaliser qu'on a des désirs parfois peu compatibles.
  • Sur le cadre : avec ou sans lumière, sous ou sur la couette, avec ou sans le chauffage... (ça n'a l'air de rien, et pourtant ! Un moment sous la couette dans le noir, c'est quand même bien différent d'un moment passé dans la lumière, sans couette et avec chauffage !)
  • Sur les suites immédiates : certains tiennent à échanger sur ce qu'ils ont apprécié ou non, d'autres ont du mal à en juger immédiatement ou préfèrent garder ça pour eux...
  • Sur les suites moins immédiates : certains utilisent Tinder sans vraiment avoir l'intention de construire une relation stable avec quelqu'un, ils redoutent l'attachement sentimental et préfèrent couper les ponts après une ou deux entrevues, pour s'épargner d'avoir la moindre responsabilité affective vis-à-vis du partenaire. D'autres espèrent au contraire, si tout se passe bien, qu'il y aura de nouvelles entrevues, quitte à ce qu'un travail émotionnel s'impose le jour où la rupture adviendra.

La première fois au lit est donc un moment où l'on découvre encore pas mal de choses importantes sur son partenaire, qui ne pouvaient pas aisément être anticipées dans le cadre de la discussion en public autour d'un verre. Bien sûr, on peut aussi tenter d'évoquer le type de moments érotiques que l'on recherche dès le stade de la conversation écrite. Ce n'est néanmoins pas toujours facile d'amener le sujet, car certains mecs trouvent cela déplacé, ont l'impression que l'on est en train de perdre du temps à discuter des modalités d'une rencontre intime qui n'aura pas forcément lieu (puisqu'il y a déjà le filtre de l'entretien d'embauche à passer !), ne savent simplement pas verbaliser leurs préférences dans le détail, de façon un peu abstraite... En fait, dans la chronologie classique, la solution la plus fiable reste d'attendre jusqu'au premier rendez-vous au lit pour évaluer si l'on a des attentes compatibles en matière de moments érotiques.

Récapitulons...

Dans cette chronologie classique, le premier rendez-vous se fait autour d'un verre dans un lieu public, et a de multiples raisons de ne pas super bien se passer : on est un peu prisonnier d'un face à face avec quelqu'un qu'on voit pour la première fois et qui peut être décevant par rapport à ce que dégageait son profil en ligne ; comme on est explicitement dans un rencard et qu'on sait bien que l'autre est aussi en train de nous découvrir pour la première fois, on peut avoir la sensation désagréable d'être en permanence évalué ; alors même qu'ils sont favorisés par ce mode de rencontre, les blancs dans la conversation peuvent donner l'impression qu'on n'a rien à se dire et dissuader d'aller plus loin ; ce contexte n'est pas optimal pour discuter de nos attentes amoureuses et tenter des démonstrations d'affection ; si l'on se sépare ensuite sans aller chez l'un ou l'autre, il peut laisser un sentiment d'échec ou d'avoir été rejeté, même si ce n'est pas le cas. Ensuite, le jour où arrive le rendez-vous prévu chez l'un ou l'autre (ou qui finit par s'y tenir après être allés ailleurs), il faut passer outre l'impression que l'on drague un ami. On peut alors se confronter à de multiples déceptions lors du moment passé au lit, que ce soit sur le cadre, la communication, les pratiques, les suites immédiates et plus lointaines, car il n'était pas forcément simple de les anticiper. Celles-ci mettent en péril l'hypothèse de développer une relation amoureuse : si l'on arrive à discuter, mais qu'on a des attentes peu compatibles en ce qui concerne l'intimité physique, on terminera plus vraisemblablement dans la case « ami » (à supposer qu'on soit l'un et l'autre à l'aise à l'idée de fréquenter de façon platonique quelqu'un qui nous plaisait, mais avec qui ça ne peut pas marcher).

J'ai du mal à me rendre compte de si c'est généralisé ou non, mais pour ma part, je ne suis pas sur Tinder pour me faire de nouveaux amis. J'en ai déjà, je préfère entretenir les relations existantes et cela me prend déjà assez de temps ; si je fais de nouvelles rencontres amicales, cela risquera d'être au détriment d'autres amis. Résultat : si, après avoir passé du temps à discuter en ligne, puis en face à face, puis s'être rendu chez l'un ou l'autre, le temps passé au lit révèle des incompatibilités, le plus probable est que la relation s'arrête là. Que de temps consommé pour en arriver à cette conclusion ! Je ne parlerais pas de « temps perdu », car je pense que ce genre d'expérience peut se révéler instructif sur les comportements ou attentes que certains mecs sont susceptibles d'avoir et qu'on n'aurait pas anticipés. Ça peut aussi être une occasion d'apprendre à se découvrir soi-même, à mieux cerner ses besoins. Mais tout de même, est-ce qu'il n'y a pas un schéma meilleur que celui-ci ?

Et si on commençait par le rendez-vous au lit ?

Compte tenu des défauts de la chronologie classique précédemment évoquée, j'ai plutôt tendance à préférer commencer par une rencontre au domicile de l'un ou de l'autre, ce qui donne la chronologie alternative suivante :

  • discuter par l'application ou autre canal virtuel ;
  • fixer une rencontre chez l'un ou l'autre, de manière à favoriser le rapprochement physique dès la première entrevue ;
  • à l'issue de cette rencontre, pour peu qu'elle se soit bien passée, continuer à échanger et se voir, dans des lieux publics ou privés ;
  • si la relation se maintient un certain temps, on convient que l'on est « en couple ».

Les problèmes que cette chronologie alternative aide à résoudre

  • La difficulté d'admettre l'asymétrie de l'attirance physique. J'avais souligné que dans la chronologie classique, si la première rencontre autour d'un verre suscite des déceptions sur le physique (ce qui a une plus forte probabilité de se produire dans des rencontres initiées en ligne plutôt que hors-ligne), le comportement, la voix, l'odeur... il est difficile de lancer à la personne qu'elle nous déçoit sur ce point. Puisqu'on se place dans un cadre interactionnel similaire à celui de deux amis qui discutent, il paraît déplacé de commencer à faire des remarques sur le physique. Le plus poli reste de prendre son mal en patience, de discuter un peu, puis de partir et ne pas programmer de nouvelle entrevue. À l'inverse, si le premier rendez-vous à lieu au domicile de l'un ou l'autre, il me semble plus facile de dire : « désolé de te décevoir, mais je n'ai plus envie qu'on s'amuse ensemble, je préfère qu'on en reste là » (d'autant plus que la rupture ne devrait pas être trop difficile à encaisser, s'agissant d'une personne avec qui il n'y a eu que quelques conversations virtuelles avant l'entrevue à domicile). On s'économise ainsi un entretien désagréable, et cela a l'avantage d'éviter de laisser traîner pendant tout un rendez-vous le sempiternel suspens sur la question « est-ce que je lui plais physiquement ou pas ? ». Cela évite aussi de passer beaucoup de temps autour d'un verre pour finir par un douloureux « Non » à la question « Tu veux qu'on aille chez moi, maintenant ? ». En se rencontrant directement à un domicile, on s'offre l'opportunité de régler sans trop traîner cette question de la réciprocité de l'attirance physique.
  • La découverte tardive de désaccords sur ce qu'est un bon moment passé au lit. En allant rapidement passer un moment ensemble au lit, on se donne l'occasion de réaliser dès le début de la relation si on a des attentes incompatibles à ce niveau. S'il y a déception, on peut en rester là, et on n'aura pas eu besoin de franchir d'abord un entretien d'embauche pour s'en rendre compte. Certes, en rejetant quelqu'un pour cause d'incompatibilité sur les attentes, on aura peut-être perdu une occasion de se faire un ami, mais ce n'est pas le but quand on utilise Tinder (enfin, pas pour moi en tout cas)... Et si l'on cherche de nouveaux amis, je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée que de fréquenter quelqu'un avec qui il y a asymétrie dans le désir de relation sexuelle.
  • L'entretien d'embauche stressant. J'avais évoqué cette sensation désagréable que j'éprouve, lors d'un premier rendez-vous fixé dans un bar, de passer une sorte d'entretien d'embauche, où je crains les blancs dans la conversation vu qu'il n'y a pas de passé commun sur lequel s'appuyer pour lancer des sujets. Si le premier rendez-vous a lieu au domicile de l'un ou l'autre, j'ai le sentiment que le problème se pose bien moins, car à moins d'avoir été déçu dès le pas de la porte, le fait qu'il y ait assez rapidement un rapprochement physique est rassurant et facilite les discussions ultérieures, qui ne seront plus polluées par des arrières-pensées de type « est-ce qu'au moins, je lui plais physiquement ? ». En outre, accueillir son rencard chez soi, c'est lui révéler une partie de son intimité, éventuellement le contenu de sa bibliothèque... et cela peut alimenter la conversation, de façon moins maladroite que le « Et sinon, quelles sont tes passions ? » qu'il m'a déjà été donné d'entendre lors d'un premier rendez-vous autour d'un verre...
  • Le contexte public qui impose ses tabous. Alors qu'il ne me paraît pas évident de parler de l'amour, des attentes, de la sexualité... dans un premier rendez-vous en public autour d'un verre, le contexte du moment passé au lit s'y prête mieux. Et c'est à mon avis une excellente chose, car il est important d'essayer rapidement d'ouvrir la discussion sur les attentes, compte tenu des nombreuses incompatibilités possibles (je me concentrais précédemment sur les attentes sexuelles, mais on pourrait parler des attentes émotionnelles aussi, de la (non-)exclusivité, de nos conceptions du couple...).
  • L'impression de draguer un ami. En ayant commencé par passer un moment au lit, on pose d'emblée un cadre symbolique dans la relation qui autorise le contact physique, là où la discussion autour d'un verre me semble davantage relever de la discussion amicale, cadre qu'il faut alors rompre (ce qui ne me semble jamais évident dans le schéma classique).
  • L'absence de sexualité avec quelqu'un dont la discussion était décevante. Dans le schéma classique, si la discussion est décevante, on évite d'aller plus loin, et donc on ne se laisse pas la possibilité d'avoir des rapports sexuels qui, pourtant, pourraient très bien se passer (sous réserve évidemment que l'on soit en recherche de sex friends). Je généralise sûrement trop vite, mais je n'ai jamais vu quelqu'un me dire dans un bar autour d'un verre : « Bon, on n'a visiblement pas grand-chose à se dire d'intéressant, mais viens quand même chez moi, si ça se trouve on va bien s'amuser ». Dans une chronologie qui place le moment au lit en premier, s'il se passe bien et qu'il est suivi de discussions décevantes autour d'un verre, il pourra quand même déboucher sur une relation de jeu sexuel régulier.

Après de bons moments passés au lit, il est possible de diversifier les activités réalisées ensemble : discussion autour d'un verre, conférence, manifestation, cinéma... Celles-ci prennent un sens différent une fois qu'on a admis que la relation incluait une dimension érotique. On s'autorisera éventuellement des démonstrations d'affection en public : se tenir par la main, se faire de bisous, se reposer l'un sur l'autre... autant de choses que l'on évite regrettablement, lorsque l'on commence le premier rendez-vous par ce type d'activités, en étant dans le flou sur la nature de la relation (flou qui conduit à se comporter « comme on le ferait avec un ami »).

Quelques inconvénients de cette chronologie alternative

Je dois enfin concéder quelques inconvénients liés au choix de cette chronologie alternative par rapport à la première :

  • Comme cette chronologie n'est pas la plus fréquente, elle appelle des justifications. Certains mecs vont croire qu'ils ont affaire à quelqu'un qui ne cherche pas réellement de relation sérieuse, et qui ne fait qu'en tirer prétexte pour pouvoir coucher dès le premier soir. Ils ne voudront donc en aucun cas ouvrir la possibilité d'un rapprochement physique avec quelqu'un qui n'a pas passé l'entretien d'embauche. Tant pis pour eux, en ce qui me concerne : je trouve qu'entre le petit paragraphe de bio et la discussion via l'appli, on peut vérifier assez rapidement qu'on devrait avoir des sujets à évoquer de vive voix plus tard. Par exemple, j'essaie toujours de faire passer dans mes conversations écrites que je suis intarissable sur la cause animale, que j'aime débattre de politique et que je suis très demandeur de discussions tournant autour de livres que mon interlocuteur aurait lus et qui pourraient m'intéresser. Nul besoin d'un rendez-vous dans un bar pour permettre à l'autre de découvrir cela et de réaliser si ça lui convient ou non... Je dirais même que parfois, l'écrit me semble plus efficace que l'oral pour les discussions culturelles : il laisse davantage le temps de la réflexion, et donc permet de voir comment s'exprime la version « réfléchie » de notre personnalité ; il permet de partager des liens vers des contenus divers et éventuellement longs, de les citer précisément et de les commenter. En ce qui me concerne, j'aime bien partager mon profil Goodreads (par ici pour les curieux — lien réservé aux inscrits), que je me verrais mal présenter en détail lors d'un rendez-vous en tête-à-tête...
  • La sensation de passer un entretien d'embauche peut aussi apparaître à la maison, et elle risque alors de venir gâcher le moment passé au lit, avec des inquiétudes du type « Suis-je assez “performant” ? », « Suis-je capable de lui procurer le plaisir qu'il attend, et sinon, va-t-il définitivement me rejeter à l'issue de ce moment passé au lit ? »... Néanmoins, cela me semble moins grave d'avoir cette sensation au lit plutôt que dans un bar. Je trouve que cela se ressent assez facilement quand un mec est stressé au lit, et qu'il est simple dans ce contexte intime de le rassurer, de lui dire que je n'attends pas de lui qu'il soit une bête de course, que j'apprécie le moment qu'on passe ensemble... Cela dit, si par malheur le moment est effectivement décevant pour l'un ou l'autre, il est généralement évident que ça ne va pas, et l'idée de se rhabiller paraîtra moins saugrenue, me semble-t-il, que l'idée de quitter un rendez-vous dans lequel on est déçu par la qualité de la conversation de son interlocuteur.
  • Alors que le bar (ou tout autre lieu public) est un espace neutre, l'invitation dans un domicile porte des enjeux de pouvoir : l'hôte est en terrain connu, l'invité le découvre. Il peut être intimidant pour celui qui se déplace d'aller directement au domicile de son match Tinder. C'est vrai qu'il s'agit d'une limite de cette chronologie contre laquelle on ne peut pas faire grand-chose. Je m'en accommode assez bien et propose donc généralement que ce soit moi qui me déplace. Cependant, dans ce sens-là, il peut demeurer la crainte, chez celui qui reçoit, que la personne accueillie se révèle insistante, difficile à faire partir si ça ne se passe pas aussi bien qu'espéré. Mais je ne suis pas sûr que ce problème soit davantage résolu dans la chronologie classique.
  • Certains s'attachent à toujours fixer les rendez-vous dans un lieu public par mesure de sécurité. Si le but est simplement de s'assurer que la personne vue en photo est bien celle qui se présente physiquement ensuite, alors il suffit de se retrouver à proximité de l'habitation... ça ne me paraît donc pas être un obstacle insurmontable. Entre ça et le fait de s'échanger les numéros de téléphone, ça limite les risques de tomber dans un sombre traquenard anti-gay (mais c'est sûr que ces choses-là existent et qu'il n'y a pas de risque zéro).

En résumé...

 Premier rendez-vous en public autour d'un verrePremier rendez-vous au domicile de l'un des deux
Situation embarrassante en cas de déception sur le physique ou le comportementOui. Il paraît déplacé dans ce contexte de faire des remarques sur le physique ou de partir rapidement.Non. S'il n'y a pas de réciprocité, on va vite s'en rendre compte et en tirer les conclusions qui s'imposent. On n'a pas eu le temps de se faire de faux espoirs.
Doutes sur la réciprocité de l'attirance physiquePotentiellement présents tout le long de l'entretien, jusqu'au moment de décider d'aller chez l'un ou l'autre.Rapidement levés.
Entretien d'embauche pendant les discussionsOui. Il n'est pas évident de construire une discussion spontanée sans vécu commun, pendant un long moment, en sachant que le rendez-vous conditionne la possibilité de se revoir dans d'autres contextes.Le partage de l'intimité contribue à créer un rapport de confiance et aide à avoir des conversations plus spontanées.
Sentiment d'être évalué lors du temps passé au litPas trop, en principe : comme on a passé pas mal de temps ensemble auparavant et que ça s'est bien passé, on a de bonnes chances de partir confiant.Oui, parfois : certains mecs s'inquiètent d'être suffisamment « performants ».
Aisance à discuter de ses attentes en matière de relations amoureusesFaible. Le contexte public ne s'y prête pas trop.Forte. La discussion sur un lit se prête à de tels sujets.
Cadre qui autorise le contact physiquePas vraiment, le rendez-vous ressemble à un contexte amical.Oui.
Nécessité de justifier le choix du lieuNon. C'est un choix standard.Oui. C'est un choix plutôt inhabituel, qui peut susciter de la suspicion sur le but réel du rendez-vous.
Espace neutreOui. Le lieu public n'appartient à personne.Non. Il y a forcément une certaine asymétrie entre celui qui accueille et celui qui est invité.
Cadre sécurisantOui. Le lieu public limite le risque de tomber sur quelqu'un qui n'est pas celui qu'il prétend être.C'est plus intimidant, mais on peut trouver des solutions (rendez-vous près du domicile, échange de numéros).

 

J'ai hâte de lire vos retours sur ces quelques réflexions. Est-ce que je ne fais qu'évoquer des éléments très particuliers et liés à mon expérience personnelle, ou est-ce que vous vous retrouvez dedans ? Quels sont les arguments qui vous paraissent pertinents ou impertinents ? Globalement, êtes-vous convaincus par la thèse que je soutiens ? Cela vaudrait-il la peine de diffuser cet article dans un espace « blog » de mon site ?